Virginia a trente-cinq ans, elle est maman de deux jeunes garçons, de respectivement cinq ans et deux ans et demi. Comme toutes les autres bonnes mamans, ce qu’elle recherche en priorité c’est le bonheur pour ses enfants. Mais contrairement aux mamans en bonne santé, Virginia doit faire face à des défis que beaucoup n’imaginent pas. Atteinte d’une maladie rare, elle se bat au quotidien d’une part contre sa maladie et d’autre part contre les discriminations qu’elle subit en tant que maman handicapée. A travers son compte Instagram et d’autres projets, elle espère faire entendre sa voix pour que les maladies dites invisibles ne soient plus invisibilisées. Rencontre avec cette maman hors du commun qui nous explique son quotidien et ses engagements.
Peux-tu nommer ta maladie et expliquer un peu comment elle se manifeste ?
J’ai un syndrome de Bartter, c’est une maladie génétique qui altère le fonctionnement des reins. Les symptômes sont nombreux, certains plus handicapants que d’autres. Parmi les supportables il y a les nausées, la polyurie, qui ne sont pas des symptômes agréables mais je m’y suis habituée. D’autres symptômes comme les douleurs articulaires et musculaires, les complications ORL, les troubles du rythme cardiaque, m’obligent à adapter mon quotidien. Il faut surveiller mon taux de potassium qui est toujours en déficit et qui peut donner suite à des malaises voire à un arrêt cardiaque dans le pire des cas. Si les taux ne sont pas bons, il faut alors que je reçoive une perfusion de potassium à l’hôpital, ce qui peut être très douloureux si ce n’est pas fait selon un protocole précis, chose que certains urgentistes ont du mal à comprendre.
A quel moment et comment as-tu été diagnostiquée ?
J’ai été diagnostiquée environ un an après mon premier accouchement, après un moment d’errance médicale. Il faut savoir que cette maladie concerne une personne sur un million, elle est donc très méconnue des soignants. J’ai été hospitalisée une fois avant mon diagnostic et les médecins ont beaucoup manqué de bienveillance, on me reprochait de mentir parce que les symptômes leur faisaient penser à un trouble du comportement alimentaire et j’avais beau leur dire que non, ils ne me croyaient pas. On me disait « vous nous cachez des éléments ». C’était très dur moralement, je pense que c’est le cas pour toutes les maladies dites « invisibles », en tant que malade on sait bien qu’on a quelque chose qui cloche et au lieu de recevoir le soutien des soignants, on se retrouve culpabilisé. Même encore maintenant avec le diagnostic, j’évite d’aller aux urgences à moins que je ne puisse vraiment pas gérer directement avec ma spécialiste, car il y a toujours des remarques déplacées ou anxiogènes comme « Vous vous rendez compte que vous pourriez mourir ? », alors que je suis bien-sûr au courant puisque c’est mon quotidien et ce n’est pas nécessaire de me le redire à chaque fois, surtout de cette façon.
Pour poser le diagnostic, on m’a fait pas mal d’examens et on m’a annoncé deux maladies potentielles, sans prendre de gant et en prétextant que j’avais surement déjà regardé sur internet. Ça a vraiment été un choc, j’ai fondu en larmes et le spécialiste m’a reproché de lui faire perdre son temps car je n’étais pas dans le bon service. Il a fallu attendre les résultats du test génétique pendant un an, avant de savoir officiellement quelle maladie j’avais. A ce moment-là, c’est ma néphrologue qui me l’a annoncé d’une façon très douce et avec beaucoup d’empathie.
Comment s’est passée ta première grossesse ?
C’était une grossesse difficile. Je n’étais pas encore diagnostiquée à l’époque donc il y a eu beaucoup de complications notamment un épuisement permanent et des troubles du rythme cardiaque qu’il fallait surveiller. Ce sont des symptômes de ma pathologie mais à l’époque j’étais en errance médicale donc je ne le savais pas. Le plus compliqué a été l’accouchement, il a fallu faire une césarienne en urgence parce que le rythme cardiaque du bébé et le mien n’étaient pas bons. La césarienne a été faite sans anesthésie et on n’a pas permis à mon mari de m’accompagner. Les soignants n’étaient pas bienveillants, il y avait peu de communication, d’ailleurs ils ont apporté mon fils à son père sans lui préciser comment j’allais. Pendant ce temps, de mon côté on ne m’avait rien dit sur mon bébé et pendant deux heures je ne savais donc pas s’il était en vie. Ça a été particulièrement anxiogène.
Comment s’est passée ta deuxième grossesse ?
Pour ma seconde grossesse, j’étais diagnostiquée donc ça a été plus facile. J’avais un suivi sérieux avec ma spécialiste et ma grossesse a mis en pause certains symptômes mais elle en a accentué d’autres, notamment la perte de potassium. C’était une grossesse à risque pour moi donc j’étais suivie de prêt. Le plus difficile a été le regard des autres … Dans notre société validiste, quand on tombe enceinte alors qu’on est handicapée, on perd toute crédibilité, comme si on n’était plus malade aux yeux du monde. Il y avait deux réactions à l’extrême opposé : soit on me disait « Oh mon dieu, mais tu vas mourir ! » soit on me disait « Ah si tu fais un bébé, c’est que tu n’es pas si malade que ça ». En fait, il fallait se justifier à chaque fois… Lorsqu’on a annoncé ma grossesse, l’une des remarques reçues a été « Mais c’est une blague, t’es enceinte ? Mais je croyais que t’étais malade ! » comme si le fait d’être handicapée enlevait toute légitimité à devenir maman. Qu’on comprenne bien : ce n’était pas une grossesse facile, c’était une angoisse permanente. Mais j’avais demandé l’accord de ma spécialiste et j’étais suivie de prêt.
Pourquoi avoir décidé de faire un autre enfant malgré les risques et comment s’est passé l’accouchement cette fois ?
Tout simplement parce que je ne voulais pas que ma maladie me dicte ma vie à ce point-là. Il faut faire beaucoup de concessions quand on est handicapé et faire face à beaucoup de remarques validistes, mais on avait envie d’un deuxième enfant et puis j’avais échangé avec beaucoup de patients plus âgés que moi qui se sont privés de faire des enfants parce qu’à leur époque on leur déconseillait, et qui le regrettaient à présent. Je voulais vivre ma vie sans avoir de regret. Mais il faut être bien entourée pour le faire parce qu’il n’y a pas uniquement la question de la fatigue et des risques médicaux, il y a aussi toute une dimension psychologique à prendre en compte. On reçoit tellement de remarques qu’il faut vraiment avoir du soutien pour encaisser…
Comment fais-tu pour concilier ta vie de maman avec ta maladie ?
Devenir maman c’est une grande responsabilité et pour ma part, j’ai découvert la maternité et ma maladie quasiment en même temps donc il a fallu gérer les deux simultanément, ça a été un gros chamboulement dans ma vie. Il m’arrivait à la fois quelque chose de difficile et en même temps un grand bonheur. Il y a eu des moments, et il y en a encore, où je me suis demandé comment j’allais faire, comment j’allais tenir. Mais on adapte tout simplement le quotidien en fonction de mes capacités. Mes enfants sont très cools et mon mari est là pour m’épauler. Il travaille quasiment tout le temps de la maison et moi aussi j’ai plusieurs jours de télétravail, ce qui me permet d’éviter de décharger complètement mes batteries dans le boulot pour me reposer et garder de l’énergie pour profiter de mes enfants. Par exemple, pour les trajets à l’école ou à la crèche, je vais faire un trajet seulement et mon mari fera le reste, ça me permet de passer du temps avec eux tout en respectant mes limites. Nous en avons discuté avec les nounous de la crèche pour que tout le monde soit informé.
Quelles activités peux-tu faire avec les enfants qui ne te couteront pas trop en énergie ?
On fait beaucoup d’activités créatives comme du dessin et de la peinture. Je leur lis beaucoup d’histoires et nous faisons des jeux de société parfois dans mon lit. Il m’arrive d’avoir prévu quelque chose pour la journée et de devoir annuler au dernier moment, selon mon état du jour. C’est pourquoi il faut avoir de l’imagination ! J’aime beaucoup écouter de la musique et eux adorent danser, ça c’est chouette car je peux m’assoir et les regarder s’amuser.

Quelles sont les réactions des gens maintenant que tu es maman tout en étant handicapée ?
On fait face à beaucoup d’incompréhension. De manière générale, l’humain a tendance à se comparer aux autres en permanence et quand on est maman handicapée, on ne coupe pas à la règle. Les parents valides comparent leur quotidien au notre et souvent me disent « Oh moi aussi je suis fatigué(e) j’ai mal dormi » alors qu’être fatigué quand on est valide, c’est complètement différent de la fatigue d’une maladie chronique. Les parents valides peuvent tout simplement se reposer et reprendre des forces ou bien forcer un peu et se reposer plus tard, mais ce n’est pas mon cas. Lorsque je me réveille le matin, je suis épuisée comme si je n’avais pas dormi et ce, peu importe le nombre d’heures de sommeil. Je peux fixer des objectifs mais dans les faits, j’improvise tout au long de la journée selon mon état. Ce n’est vraiment pas la même vie que des parents en bonne santé. Mais mes proches sont très compréhensifs et m’apportent beaucoup de soutien. L’incompréhension, c’est surtout dans le milieu professionnel où mes aménagements sont jalousés.
Comment vous abordez le sujet avec les enfants ?
On en parle naturellement avec les petits et puis ma maladie fait aussi partie du décor pour eux, ils ont toujours eu une maman handicapée donc ce n’est pas quelque chose qui les perturbe. Même sans qu’on leur dise, ils sont attentifs et comprennent les choses par eux-mêmes. Par exemple, j’ai des patchs antalgiques que j’utilise pour la douleur, et quand je les place sur mes jambes sans rien dire, mon plus petit de deux ans vient déposer des bisous sur mes jambes en disant « bobo ». Pour le plus grand, on explique calmement par exemple qu’il ne faut pas monter sur mes jambes parce que c’est douloureux pour moi. Parfois, il a très envie que je danse avec lui et je le ferai une ou deux minutes pour lui faire plaisir mais il sait que ça génère plus de douleurs et que si je le fais, c’est exceptionnel.
Comment décrirais-tu le caractère de tes enfants ?
Je pense que le fait d’être sensibilisés au handicap les rend beaucoup plus empathiques. Ils sont curieux, très attentifs et compréhensifs, c’est impressionnant. Par exemple, à la crèche les nounous ont été très surprises de voir mon fils de deux ans caresser avec douceur le visage des tout-petits parce que ça n’arrive pas souvent. En général, les gardes d’enfants voient des jeunes enfants qui sont un peu plus brutes mais les miens font preuve de beaucoup de douceur et de patience. Le fait de devoir adapter les jeux en fonction de mon état stimule aussi leur créativité et leur imagination et puis je pense qu’ils sont aussi beaucoup plus autonomes que les enfants de leur âge le sont en général. Souvent les gens ont pitié des personnes handicapées, ils s’imaginent que nos journées sont pleines de tristesse, que l’on pleure tous les soirs alors que c’est tout simplement faux. Nos vies sont différentes et nos enfants aussi. Me lever le matin est déjà un combat pour moi alors il est hors de question que je coure après mes enfants pour les habiller ou enfiler leurs chaussettes, ils le font seuls depuis longtemps. De même lorsque nous faisons des activités créatives, ce n’est pas moi qui me lève de pièce en pièce pour aller chercher ce qu’il faut. Je leur indique où se trouvent les choses et ils vont eux-mêmes les chercher.
Qu’est-ce qui te plait le plus dans le fait d’être maman et que trouves-tu le plus difficile ?
Ce que j’aime le plus c’est de passer du temps avec eux et de les voir heureux, je pense comme n’importe quelle maman. Ce qui est le plus difficile c’est d’accepter que je ne puisse pas tout faire avec eux, contrairement aux autres mamans. Le fait de devoir renoncer à certaines activités ou écourter une sortie au parc parce que je me sens mal et qu’il faut que je rentre me reposer. Les enfants et mon mari l’acceptent toujours très bien mais moi je culpabilise beaucoup, j’ai du mal à accepter que mon corps me dise stop. Nous sommes dans une société qui est très culpabilisante pour les mamans. Elles doivent tout concilier et être des mamans parfaites pour éviter les critiques et je pense qu’il faut descendre le niveau de pression, en particulier lorsque l’on est maman et handicapée. Par exemple, j’ai renoncé à l’idée que leur chambre soit rangée, ils ne sont pas plus malheureux avec une chambre en désordre, moi ça m’économise et ça laisse aussi plus de temps à leur père pour m’épauler.
Entre ton métier d’ingénieure, ton rôle de maman et ta maladie, est-ce que tu parviens à prendre du temps pour toi ?
Avant la COVID, nous sortions mon mari et moi sans les enfants 2 ou 3 fois par mois, selon la maladie. Nous faisions appel à une nounou à domicile par le biais d’une agence ou bien nous avions recours à une baby-sitter par le bouche-à-oreille. Les nounous s’occupaient de nos enfants, leur donnaient à manger et s’occupaient du coucher pour que nous puissions sortir. Depuis la COVID, on ne sort plus dans des lieux fermés, c’est trop dangereux pour moi et en particulier depuis que le port du masque n’est plus obligatoire. On a hâte de pouvoir reprendre les sorties dès que le taux d’incidence sera plus raisonnable.
Que voudrais-tu dire aux gens qui ont des préjugés sur les parents handicapés ?
Je leur dirais qu’ils n’ont pas compris ce qu’est le handicap. Nous avons une place légitime dans ce monde et le droit comme toute personne de vivre une vie heureuse. On a le droit de travailler si on le peut et les aménagements doivent être pensés pour nous le permettre. On a le droit d’être maman et d’être acceptée comme on est, il y a de la place pour tout le monde et le mieux serait de nous écouter. Souvent ce sont les préjugés qui sont le plus difficiles à supporter et non la maladie en elle-même. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’être discriminée, insultée devant mes enfants parce que je me garais sur une place de stationnement handicapé, alors même que j’avais la carte qui m’y autorise. Encore plus si je porte mon plus petit dans mes bras, les gens s’imaginent que je fais semblant d’être malade. Pour eux le handicap est forcément synonyme de fauteuil roulant et ils sont persuadés que toutes les personnes en fauteuil roulant ne peuvent pas se lever et marcher. Nous aimerions mon mari et moi emmener les enfants à Disney mais je sais que j’aurais besoin d’utiliser un fauteuil pour tenir toute la journée et je crains que les réactions des gens gâchent la journée. Cela nécessite de préparer les enfants … même s’ils ont déjà été témoins plus d’une fois de réactions discriminantes.
Que leur dis-tu dans ces cas-là ?
C’est difficile de leur expliquer, surtout quand les gens sont très agressifs … J’essaie de ne pas fondre en larmes mais parfois ça m’arrive quand même parce que c’est trop mentalement et physiquement, notamment quand on me refuse les places assises dans les transports alors que je montre ma carte de priorité. J’ai déjà dû m’assoir par terre dans le bus avec mon enfant dans les bras parce que personne n’avait accepté de me laisser sa place et le chauffeur ne disait rien. J’explique calmement à mes enfants que je suis dans mon droit avec ma carte mais que les gens ne l’ont pas compris, j’essaie de leur expliquer avec des mots simples.
Que fais-tu à ton échelle pour changer le regard des gens sur le handicap ?
J’ai créé un compte Instagram @virginia_invisible sur lequel je parle de mon quotidien de maman handicapée et où j’essaie de sensibiliser au handicap invisible. Je pense que les gens n’imaginent pas toutes les maladies qui existent et que c’est un sujet important dont il faut parler davantage. Il faut que les gens arrêtent de nous prendre en pitié ou de ne pas nous croire. J’ai le sentiment d’être toujours tiraillée entre ces deux extrêmes mais rarement traitée comme un être humain à part entière. C’est pour cela que c’est important pour moi de sensibiliser. J’ai aussi une association qui s’appelle Gitelbart et qui soutient les patients ou l’entourage atteints d’un syndrome de Gitelman ou de Bartter. L’association a été créé pour permettre aux patients et à leur entourage de sortir de l’isolement et d’un réel besoin d’aide. De nombreux projets pour sensibiliser au handicap invisible quand on a une maladie invalidante, comme un livret de sensibilisation et un livre pour enfant « Différents et heureux »
Peux-tu nous en dire davantage sur ce livre pour enfant ?
Comme je le disais, le handicap est un sujet encore trop tabou dans la société et les personnes handicapées souffrent de nombreux préjugés. Je voulais m’appuyer sur des livres pour expliquer à mes enfants mais j’ai réalisé durant mes recherches qu’il y avait en fait très peu, voire pas du tout, de livre pour enfants qui traitent du handicap invisible. Or il me semble que c’est une priorité d’éduquer les enfants à ces questions car ce sont eux les adultes de demain. C’est pour cette raison qu’avec mon association nous avons décidé d’écrire un livre à destination des petits à partir de 4 ans, sur le handicap invisible. J’espérais ainsi toucher au moins une personne. Les enfants en priorité bien-sûr. Mais aussi les parents, les professeurs ou encore la baby-sitter qui liraient mon livre aux petits. Ce livre peut aussi être un bon outil pour les parents handicapés qui souhaitent l’expliquer à leurs enfants, mais il peut aussi être un vrai soutien pour les enfants handicapés qui sont nombreux et qui manquent de représentations alors même qu’ils affrontent eux aussi des discriminations. A l’école par exemple, les demandes d’aménagements ne sont pas toujours bien reçues, comprises ou respectées alors qu’elles sont essentielles et parfois vitales. Nous avons collaboré avec une illustratrice talentueuse @marjolinefleur qui a fait de très beaux dessins pour ce livre, grâce à une campagne de financement Ulule. Tous les bénéfices des ventes sont reversés entièrement à l’association pour financer d’autres projets de sensibilisation, comme la réalisation d’un petit livret expliquant ma maladie aux parents, aux patients et à leurs proches.
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