Tamara a trente ans et est atteinte du syndrome du mal du débarquement, une maladie rare qui impacte beaucoup son quotidien depuis deux ans. Il y a un peu plus d’un an, elle a décidé d’écrire un livre à destination des enfants pour les aider à traverser les turbulences qui vont de pair avec la maladie d’un parent. Elle a accepté de répondre à nos questions pour présenter son quotidien et son livre qui peut être lu par les parents comme par les nounous, vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas vous laisser tenter ! Rencontre avec une femme inspirée à l’imagination débordante !

Peux-tu te présenter pour nos lecteurs et lectrices ?
Je m’appelle Tamara, j’ai 30 ans et je suis éducatrice spécialisée de formation. J’ai longtemps travaillé avec des adolescents et des enfants en situation de handicap et j’ai aussi travaillé avec des adultes handicapés en institution puis j’ai changé de poste, parce que je voulais être davantage dans l’accompagnement vers l’autonomie. Je suis tombée malade ensuite de façon abrupte, j’étais sur un bateau avec des amis et en rentrant, je n’ai pour ainsi dire plus jamais touché terre, depuis je tangue en permanence. Surtout quand je suis allongée ou assise, la sensation de tangage s’atténue seulement quand je suis en mouvement vers l’avant comme dans un train ou quand je marche très vite. Le syndrome du mal de débarquement c’est avoir le mal de mer tout le temps, beaucoup de fatigue, de douleurs chroniques, des nausées et vomissements, des troubles cognitifs, toute une palette de symptômes qui sont arrivés du jour au lendemain.
Si tu devais choisir trois traits de caractère pour te décrire, lesquels choisirais-tu ?
C’est difficile comme question ! En premier, je dirais le côté volontaire ! Avant j’aurais dit dynamique mais je ne peux plus dire ça à présent compte tenu de ma santé. Mais mon envie, mon entrain, ma motivation sont restés intacts et j’aime m’engager pour différentes causes. En second je dirais créative surtout depuis que je suis malade. Avant, je n’avais pas forcément connecté avec la créativité, j’avais une vie tellement minutée que ça laissait peu de place à l’imagination. Mais finalement maintenant c’est vraiment ce qui me permet de ne pas dissocier, de canaliser mes symptômes. D’ailleurs pour être tout à fait honnête c’est souvent la créativité qui me permet de me raccrocher à la vie et au présent. Dessiner me fait beaucoup de bien moralement. Et pour finir, je vais choisir la curiosité. J’aime tout ce qui touche à l’être humain, j’aime rencontrer des gens, découvrir des manières de vivre et de penser complètement différentes des miennes. En fait, j’ai beaucoup d’intérêt pour l’être humain et c’est ce qui me donne soif d’apprendre.
Comment est née l’idée de Les invisibles le podcast ?
La mère de ma meilleure amie m’avait envoyé un appel à témoin de France 2 pour l’émission Ça commence aujourd’hui. L’émission recherchait des personnes vivant avec une maladie chronique rare et je les ai donc contactés puis je me suis retrouvée sur le plateau pour parler de mon quotidien. C’était une expérience fantastique parce qu’à partir du moment où j’ai témoigné, il y a des centaines voire des milliers de personnes qui se sont reconnues dans mon témoignage alors qu’elles vivaient dans une errance médicale immense, avec des médecins qui niaient leurs symptômes. Néanmoins, j’étais assez mal à l’aise en sortant du plateau parce que je n’ai pas eu du tout le même temps de parole que les autres personnes invitées. Je crois que j’ai eu 10 minutes alors que les autres ont eu 40 à 50 minutes. Je me suis demandé si c’était lié au fait que leur maladie était visible contrairement à la mienne, si la télé ne cherchait pas quelque chose de misérabiliste pour l’audience finalement. Il y a vraiment eu moins d’échange autour de mon témoignage et c’est là, sur le retour dans le train que j’ai dit à mon conjoint que ça me dérangeait et que j’aimerais faire quelque chose. A l’époque je n’avais aucune idée des communautés de malades déjà existantes, je voulais créer un espace de paroles pour les gens comme moi, avec une maladie invisible pourtant très impactante sur leur quotidien.
Mon conjoint, qui me soutient dans tous mes projets, m’a proposé de faire le teaser, le mixage et j’ai lancé un appel à témoins qui m’a rapporté énormément de réponses. J’ai donc créé le compte Instagram Les invisibles et j’ai commencé à interviewer des gens. C’est une expérience incroyable, j’ai de magnifiques retours. Je n’ai pas énormément de moyens, que ce soit financiers ou humains, pour faire les visuels et la communication et avec mes nombreux symptômes je n’arrive à sortir qu’un épisode par mois alors que j’aimerais en faire un par semaine. Mais je dois aussi prendre en compte la réalité de ma maladie et ces épisodes mensuels permettent quand même de mettre le doigt sur de nombreuses failles, dont le système validiste auquel nous sommes sans cesse confronté en tant que malade.

En plus de ton podcast, tu as décidé d’écrire un livre pour enfants. Peux-tu m’en dire plus sur ce livre ?
Il s’intitule Ma maman vit avec une maladie invisible, mais moi je la vois. C’est l’histoire d’une maman qui s’appelle Blue et qui vit avec une pathologie invisible, sa maladie n’est pas nommée parce que ce n’était pas nécessaire, les souffrances et difficultés que l’on vit sont transversales peu importe la maladie. Sa fille, Rose, est la seule à voir la maladie qui ressemble à une sorte de pieuvre et qui s’appelle Chromi. Rose explique avec son regard d’enfant que quand Chromi prend peu de place, elle peut partager des moments avec sa mère mais quand Chromi prend beaucoup de place, Blue est dans la tristesse et la colère de ne pouvoir partager des moments avec son enfant et dans ces moments-là, Rose essaie de chasser Chromi. Jusqu’au jour où Blue lui explique qu’elle n’a pas de pouvoir sur la maladie et que tout ce qu’elles peuvent faire c’est apprendre à vivre avec. Rose puise alors dans ses ressources personnelles et aussi autour d’elle pour faire face à tout ça, ce qui lui permet d’être moins prise dans ses émotions et elle comprend petit à petit que Chromi n’impacte pas l’amour que sa mère lui porte.
Qu’est-ce qui t’a inspiré pour écrire ce livre ?
J’ai vécu avec une maman qui a un trouble bipolaire et ça a été très difficile pour moi en tant qu’enfant de ne pas comprendre ce qui se passait pour ma mère, ses ressentis et ses états d’âme. Il y avait des moments où elle allait très bien, où elle était très en lien avec la vie, dans l’euphorie avec une joie intense. Puis des moments où elle traversait des émotions extrêmement négatives et de la dépression sévère donc je ne savais pas si la vie était chouette ou horrible. J’ai appris plus tard à ne pas voir la vie de façon si binaire mais enfant j’étais très anxieuse, j’avais très peur et je pensais souvent qu’elle allait mourir. Donc j’ai construit des sortes de pensées magiques, je pensais que si je faisais ceci ou cela, elle allait guérir. J’ai cru que mon comportement pourrait aider son état mental et je me sentais vraiment responsable de son bien-être. J’étais dans la croyance que je pouvais la sauver et il m’arrive encore de le penser aujourd’hui. Je culpabilisais beaucoup lorsque je me rendais compte ça ne fonctionnait pas.

Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce livre maintenant ?
C’est la première fois de ma vie que je me projette avec un homme pour avoir un enfant et le fait que je sois malade génère beaucoup de questions. De façon générale, j’analyse beaucoup et j’essaie de comprendre les choses, d’autant plus en ayant été éducatrice, je sais quel impact une maladie de parent peut avoir sur l’enfant. Certains enfants étaient placés parce que leurs parents malades n’avaient pas les ressources pour répondre à tous les besoins de leurs enfants. Je me suis donc demandé si je devais refréner cette envie de devenir mère, si c’était profondément égoïste de vouloir un enfant alors que certains jours je ne serais pas en mesure de répondre à ses besoins, ou bien s’il y avait des outils qui permettraient de traverser la maladie avec les enfants en leur évitant la peur, l’angoisse et les pensées magiques. Je n’ai pas trouvé d’outils de ce type alors j’ai décidé qu’il fallait les créer. C’était la période où je commençais à ressentir un besoin de créer, donc j’ai pris des cours de dessin, pour avoir un petit niveau me permettant de dessiner mes personnages et j’ai mis en images et en mots ce livre.

Donc c’est toi qui as fait les illustrations du livre ?
Les dessins m’ont pris 8 à 9 mois parce que c’était compliqué pour moi de dessiner mais ça me tenait à cœur. J’ai envoyé ensuite le dossier à plusieurs maisons d’édition qui pourraient être touchées, l’une d’elles m’a répondu très rapidement : L’atelier de la belle étoile. La co-créatrice de la maison d’édition a été très touchée par l’histoire et m’a proposée de reprendre les illustrations de façon plus professionnelle. Elle avait discuté de mon livre avec une amie psychologue qui était très emballée par le projet, et elle voulait absolument m’aider à le concrétiser. J’ai accepté évidemment parce que je savais qu’elle avait illustré trois tomes que j’aime beaucoup : Les petits illustrés de l’intimité. Lors de notre première rencontre, elle m’a confié qu’elle était elle-même atteinte d’une maladie invisible : l’endométriose et que l’histoire de Rose et Blue la touchait particulièrement. En deux semaines maximum, elle avait terminé d’illustrer le livre de manière splendide.
Pourquoi les gens devraient-ils acheter ce livre ?
Je pense qu’il peut faire entendre aux enfants qu’il n’y a pas de responsabilité qui leur incombe concernant la maladie de leurs parents et qu’ils n’ont pas de pouvoir là-dessus, qu’importe ce qu’ils sont et ce qu’ils font. C’est aussi un moyen de leur dire qu’ils peuvent se tourner vers d’autres ressources quand c’est trop difficile. Des ressources qu’ils peuvent puiser en eux mais aussi auprès de leurs proches. Qu’il existe des choses extérieures et intérieures qui peuvent leur faire du bien et leur changer les idées pour se connecter à autre chose que l’angoisse ou la tristesse que peut générer une maladie dans une famille. Je voudrais leur dire qu’ils peuvent être l’enfant qu’ils veulent être, vivre dans l’insouciance et que ce n’est pas parce que la maladie est là que le parent est diminué par rapport aux autres parents, c’est juste une réalité différente. J’espère que ce livre permettra aux enfants de voir la maladie d’une façon plus inclusive aussi, sans en faire une interprétation particulière. J’aimerais aussi évidemment que ce livre puisse aller dans d’autres familles et pas uniquement celles qui sont concernées par la maladie. C’est important que les parents puissent montrer à leurs enfants que certaines familles composent avec des choses différentes. Je rêve qu’il soit un outil de communication pour de nombreux parents et enfants, qu’il s’étende au personnel soignant et aux éducateurs et éducatrices, aux gardes-d’enfants et toutes personnes sensibles à donner de la valeur à des réalités invisibilisées par nos systèmes et pourtant bien réelles.

Sur ton compte Instagram tu expliques l’avoir présenté à une enfant en avant-première, quelle a été sa réaction ?
C’était incroyable ! La petite a trois ans. Elle était à fond, elle n’a pas décroché une seule seconde son attention de l’histoire. Elle a adoré ! Ce qui m’a surprise c’est que justement elle n’est pas concernée, il n’y a pas de maladie dans son foyer et pourtant elle était captivée par l’histoire. Je lui ai lue une première fois puis elle a demandé à sa mère puis à son père de lui lire à nouveau. Instinctivement, elle voulait absolument chercher Chromi, la maladie, dans les illustrations, Chromi étant parfois toute petite et cachée et parfois très grande, ensevelissant presque la maman.

Pourquoi avoir choisi un livre comme outil ?
Quand j’étais petite, j’ai commis mon premier délit alors que j’avais trois ans : j’ai volé un livre. Mes parents divorçaient et ils m’avaient emmenée voir une psychologue pour en parler et m’accompagner. Je ne me souviens absolument pas de tout ce qui s’est dit durant ce rendez-vous. En revanche, j’ai un souvenir très précis d’un livre que j’ai lu alors que j’étais dans la salle d’attente. C’était l’histoire d’un petit blaireau dont les parents divorçaient, je me suis énormément identifiée au blaireau et ce livre était tellement incroyable pour moi que je l’ai emmené. Les livres ont un sens tellement fort à mes yeux, je trouve qu’ils ont le pouvoir d’éviter la culpabilité, le repli sur soi … Ils ont un impact très grand sur les enfants. Plus on approche de la concrétisation et plus je pense aux enfants qui pourront le tenir entre leurs mains et sortir de leurs angoisses. Et puis, j’aimerais évidemment qu’on puisse le trouver dans tous les lieux qui accueillent des enfants et chez celles et ceux qui les accompagnent indépendamment des parents comme les nounous, les assistantes maternelles, les écoles, le personnel soignant, les associations. D’ailleurs, nous avons prévu de proposer une option où les gens pourront acheter un exemplaire et choisir d’en offrir un à un en même temps à une association que nous aurons choisie, car les associations manquent souvent de fonds pour financer ce genre d’outil et je trouve ça génial si on peut les aider.
Comment peut-on t’aider ?
J’ai la joie de présenter la campagne de financement participatif du livre qui se tiendra jusqu’au 30 juin. Plusieurs actions sont possibles pour m’aider à voir naitre ce projet : il est possible de pré commander le livre, de faire un don et bien-sûr de partager sur les réseaux sociaux et à un maximum de personnes pour récolter les fonds nécessaires. Nous espérons récolter 15 000 € ! Un grand merci pour votre aide ! Pour participer à la cagnotte, c’est ici !

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